Théâtre

Belle des eaux


Présentationsu de l’histoire :

Belle des eaux est une pièce de théâtre contemporain écrite par Bruno Castan en 1989 et publiée aux éditions Théâtrales II jeunesse, de 88 pages appartenant au genre du merveilleux et du fantastique. Si dans le théâtre classique, la pièce est généralement découpée en actes eux mêmes subdivisés en scènes Belle des eaux est divisée en tableaux numérotés. Cette pièce, figure sur la liste officielle des œuvres de littérature préconisées pour le cycle 3. Belle des eaux s’inspire avec une grande fidélité comme le souligne l’auteur en postface, du conte La belle et la bête, de Madame Leprince de Beaumont daté de 1756.

Tout commence sur un petit canot où se trouvent une jeune fille et un pêcheur (son père) qui aperçoivent une statue usée par les vagues ressemblant à une femme. C’est la roche Bernadine. Le pêcheur raconte la légende de la statue à sa fille. Ainsi, une ouverture est opérée et on se retrouve en 1668 là où un père (armateur), ses 3 enfants et la servante (Mariette), se retrouvent ruinés du jour au lendemain. Comme dans le célèbre conte, la Belle, fille de l’armateur ruiné, est prise au piège dans le monde merveilleux de la Bête, fait d’opulences et de richesses. Une fois encore, la Belle trouvera finalement l’amour à travers la laideur d’un prince envoûté par une fée.

Du conte à la pièce de théâtre

Cette pièce dont le titre empreinte explicitement au conte de Madame le prince de Beaumont fait jouer la transtextualité (ou intertextualité, même si celle-ci a un sens plus restreint) telle que définie par Genette qui désigne par là tout phénomène de mise en relation de deux ou plusieurs textes. Plus précisément, la pièce renvoie au phénomène d’hypertextualité qui se définit comme la relation de dérivation entre un texte et un autre (reformulation). En effet, Belle des eaux opère une véritable transposition, passage d’un médium à un autre, ici du récit, du conte, au théâtre en même temps qu’une véritable réécriture, réappropriation personnelle de l’œuvre inspiratrice que représente pour Castant La belle et la bête.

Ainsi partant du texte source que représente la Belle et la bête peut-on établir entre le texte de Bruno Castan et le conte de Madame de Beaumont de nombreux liens transtextuels. Pour vérifier cette transtextualité, on peut ainsi comparer le début du conte aux scènes 2 et 3 de la pièce de théâtre qui jouent le rôle d’acte de d’exposition ou d’incipit en présentant la situation initiale de la pièce et le caractère des principaux personnages, présents ou absents de la scène, les tableaux 1 et 20 ne servant qu’à entrer et sortirent du conte adapté en pièce de théâtre. Dés lors, le travail singulier de reformulation de l’auteur apparaît.

Ainsi si dans le conte, le père est marchand, a six enfants dont trois filles, dans la pièce de Bruno Castan, l’homme est armateur et il a trois enfants dont deux filles. De plus, l’auteur a ajouter un personnage supplémentaire : la servante Mariette. Quant à certains détails passés sous silence dans le conte, ils sont très développés dans la pièce. Ainsi, si dans le conte les détails sur sa perte de biens ne sont pas explicités,  dans la pièce, en revanche, un tableau entier, intitulé « Fortune de mer », est consacré à l’annonce de cette perte. Enfin, tandis que le père du conte va chercher son vaisseau par la terre, dans la pièce, il y va par la mer. Ce détail, mineur dans le texte de Madame de Beaumont est surexploité par l’auteur qui va saturer sa pièce de référence à l’eau, présence permanente et inquiétante dont le symbolisme est à étudier. En effet, outre l’eau de la mer, de la lagune qui entoure l’action, lieu d’infortune pour les marins naufragés, on note également l’eau stagnante des sous terrains et des caves qui semble grouiller, dans l’imagination des personnages d’êtres maléfiques et obscènes et enfin, l’eau de la mère, eau liées à la perte et aux regrets car celle-ci est totalement évacuée de l’histoire. L’élément marin est ainsi à rattacher au doute et à le peur, il créé une atmosphère d’angoisse et fait référence implicitement à l’univers merveilleux d’Ondine, sirènes ou autre Lorelei, nixe ou nymphe de la littérature germanique.

Les thématiques du conte sont fidèlement restituées, en cela Castan reste fidèle à l’œuvre source, comme il l’indique dans sa postface. On retrouve ainsi le thème de la métamorphose très prolifique en littérature comme le prouve le roman du même nom de Kafka mais aussi le thème de l’exclusion, du rejet, de la différence et du respect de l’autre qui s’adapte très bien au jeune publique.

La mise en perspective des deux texte nous amène à dégager, en creux, les caractéristiques propre au texte théâtral en comparaison avec le texte narratif.

En effet, si dans le conte le narrateur est plus ou moins présent (présence de commentaires ou non), au théâtre le narrateur est totalement absent, les faits ne sont pas racontés, rapportés, mais vécus en acte. En outre, ce sont les personnages qui prennent en charge l’énonciation.

En outre, on remarque dans la pièce la présence d’indications ajoutées par l’auteur au texte de la pièce pour guider la mise en scène ou la lecture de la pièce, appelées didascalies. Elles ne font donc pas partie du spectacle en soi, et figurent toujours en italiques, et parfois entre parenthèses, sur le texte écrit. Dans la pièce Belle des eaux, elles contribuent largement à la monstruosité de la Bête « Bruit de respiration mouillée »…

De plus, le système de double énonciation est caractéristique du théâtre. En effet, la communication théâtrale se caractérise par l’existence d’un double destinataire. Ainsi, le personnage s’adresse à un autre personnage mais aussi au public présent dans la salle.

Pistesdagogiques :

Au CM2, pour commencer l’étude de ce livre une analyse du titre pourra être effectuée ce qui amènera à un débat interprétatif (avant la lecture de la pièce et après avoir lu la pièce complète).

La page de faux titre établit clairement le lien avec le conte de Madame de Beaumont, on pourra ainsi, à partir de là, établir le lien entre le texte de Bruno Castan et le conte de la Belle et la bête. On reliera le conte afin que les élèves puissent faire des inférences entre les deux textes. Il s’agit ici de créer une culture commune axée sur la connaissance de quelques textes patrimoniaux. En effet, comme le souligne Catherine Tauveron dans Lire la littérature à l’école la mise en réseau contribue à construire une culture qui permet aux élèves de goûter au plaisir de la reconnaissance, de décrypter les intentions cachées de l’auteur, d’entrer en connivence avec le texte.

Plus particulièrement, la mise en réseau des deux textes permet ici de dégager les particularités du texte théâtral par comparaison avec le texte narratif mais aussi de noter les différences et ressemblances entre les deux versions et de dégager les particularités de la réécriture en tant que procédé littéraire très couramment utilisé. Dès lors les élèves sont amenés à enrichir leur vision de la littérature comme ensemble de textes qui se font échos. En effet, tout texte littéraire est un « intertexte » c’est à dire qu’il redistribue, de manière plus ou moins consciente et évidente la littérature antérieure par le jeu de l’allusion, de la citation etc..

L’entrée dans la lecture se fera par le dévoilement progressif de la pièce. Pour une meilleure compréhension de la scène d’exposition, et afin que les élèves se construisent des images mentales, celle-ci sera lue par l’enseignant. Une reformulation sera effectuée à la fin de la lecture par les élèves. On travaillera alors les caractéristiques de chaque personnage (lors de la lecture de l’œuvre, on pourra utiliser diverses modalités de lecture), mais aussi du texte théâtral : didascalies, structure du texte (dialogue au discours direct sans guillemet). On comparera cette scène d’exposition aux informations présentes dans le conte d’origine en distribuant le texte source et en demandant aux élèves, par groupes, de souligner les passages où les informations diffèrent. Les élèves repéreront le passage restreint où il est question de la mer dans le texte originel : « un vaisseau, sur lequel il avait des marchandises, venait d’arriver heureusement » et, l’importance qu’elle revêt dans Belle des eaux.

A la fin de l’étude de cette œuvre théâtrale, les élèves mettront en voix certains passages. Ce travail pourra déboucher sur l’inscription dans l’espace de la diction du texte. On peut aller jusqu’à une véritable mise en scène.

Petit Pierre

Présentation et résumé:

Petit Pierre est une pièce de théâtre de 86 pages, écrite par Suzanne Lebeau à partir d’une histoire vraie et publiée en 2002.

La pièce raconte l’histoire de Pierre Avezard, alias, Petit Pierre, né en 1909 avant terme et « mal fini », sourd et borgne. Il sort très tôt de l’école pour devenir garçon vacher. Solitaire, Petit Pierre est pourtant fasciné par tout ce qui bouge, sur pattes, sur roues. Il se fera inventeur d’une mécanique merveilleuse, un manège  fait de bric et de broc d’une singulière beauté qui enchantera les visiteurs venus du monde entier et qui est aujourd’hui un des joyaux du musée d’Art brut de Dicy. Cependant, à partir de l’histoire vraie de Pierre Avezard, Suzanne Lebeau évoque également la grande Histoire, celle d’un siècle de guerres pour nous aider à mieux le comprendre.

Par ailleurs la pièce de Suzanne Lebeau s’inspire directement de l’album Le manège de petit Pierre de Michel Piquemal qu’elle découvre dans les lectures de son fils. La pièce est sélectionnée pour la liste du Cycle 3, il est recommandé de la lire conjointement avec l’album.

De facture très moderne la pièce se découpe en dix tableaux qui marquent les moments clés de la vie de petit Pierre : « L’année 1909, naissance de Petit Pierre », « Petit Pierre entre à l’école et la quitte », « Le manège » ou de l’Histoire : « La grande crise », « La guerre, tout autour …», « La conquête du ciel »

Moderni et héritage de la pièce :

Petit Pierre ne met pas en jeu directement des personnages mais fait intervenir deux conteuses qui se relaient, à tour de rôle pour raconter l’histoire de Petit Pierre ou, plus précisément, Petit Pierre et la petite histoire et Petit Pierre et la grande Histoire.

En effet, Petit Pierre n’intervient pas lui même pour raconter son histoire mais est présent sur scène en arrière plan, comme l’indiquent les didascalies : « On ne le voit jamais complètement sauf à la toute fin quand il met lui-même son manège en marche et qu’il indique la sortie avec sa cithare. On l’aperçoit en ombre, on voit ses mains qui travaillent, on sent sa démarche qui vieillit. On le devine, on le sent présent, on l’entend faire et se déplacer. » C’est donc une présence, discrète mais sensible qu’a voulu mettre en scène Suzanne Lebeau. Il est dit que « Petit Pierre est dans le faire et dans l’ombre » comme si l’auteur voulait ainsi opposer la parole à l’action, deux manières d’être au monde tout aussi honorables, celle des gens de lettre et celle des artistes de l’art brut, une façon également de réhabiliter le corps comme moyen d’expression à part entière.

En outre, par ce procédé le spectateur se sent à la fois proche et lointain de ce personnage, énigmatique et tendre. On peut supposer que Suzanne Lebeau ne souhaite pas que le spectateur s’identifie au personnage, s’attache outre mesure ou prenne pitié de lui, mais adopte une attitude distanciée et réflexive, notamment par rapport à la Grande Histoire. Par ce choix, elle met l’accent non pas sur l’aspect singulier et par certains aspects dramatique de la vie de Pierre mais sur son imbrication dans le flot des événements de la Grande Histoire.

Sur scène, deux conteuses s’adressent ainsi au public. L’une, la conteuse 2 évoque la petite histoire : la vie de Petit Pierre, de son enfance dans une famille relativement aimante à la construction de son manège en passant par le rejet des autres, l’autre la tragique et grande Histoire, racontée par la conteuse 1, dans laquelle s’imbrique celle de Petit Pierre avec ses guerres et son lot d’injustices, les deux entretenant de profonds échos. La conteuse 1 évoque ainsi l’essor du progrès pour les uns qui rêvent de frigidaires, téléphone, voitures et avions supersoniques, tandis que dans l’autre partie du globe, sévissent la faim, les guerres, la pénurie d’eau… Toutes deux déroulent ainsi le fil de la vie de Pierre au sein de l’histoire des hommes, jusqu’à son accomplissement, la mise en marche du grand manège… Ces deux conteuses renvoient de façon implicite aux parques de la mythologie grecque qui tissent le fil des destinées. Elles semblent ainsi tout connaître, possèdent un point de vue omniscient sur les événements, tentent de raconter le plus fidèlement et objectivement possible. Cependant, elles se permettent quelques commentaires  et semblent prises d’affection pour Petit Pierre : « je sens mon cœur se serrer »p 14 échappe la conteuse 2. Cela leur offre une véritable épaisseur. Pourtant, au fil du texte, les conteuses s’effacent, leurs voix se confondent de plus en plus avec celle, subjective, de Petit Pierre. En effet, l’énonciation à la première personne se substitue parfois au récit à la troisième personne nous mettant face à un « je » à priori déroutant comme ici page 48 : « les garçons de ferme comptent les victoires et les défaites, et moi… (conteuse 2) j’ai peur du nazisme qui crache son venin… (conteuse 1) » Peu à peu les conteuses se laissent ainsi débordées, submergées par la voix de Petit Pierre qui résonne à travers elle, lui qui n’a jamais parlé correctement trouve ainsi un échos.

Lauriane M.


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