Conte

Comment Wang-Fô fut sauvé


Présentation et résumé de l’œuvre

Il s’agit d’un conte de Marguerite Yourcenar illustré par Georges Lemoine et édité depuis 1990 par Gallimard Jeunesse dans la collection Folio Cadet (Roman illustré) (La 1ère édition du texte date de 1952 ; la 1ère édition avec les illustrations date, elle, de 1979). Cette œuvre est une réécriture à l’attention des enfants, par Marguerite Yourcenar, d’une de ses nouvelles, portant le même titre, destinée elle aux adultes, et appartenant au recueil Nouvelles orientales (dont la 1ère édition date de 1938). Pour ce récit, l’écrivain s’était inspiré d’un conte traditionnel chinois dont le thème est celui de la peinture, de sa finalité, et de la capacité de l’artiste à la faire si belle qu’elle peut prendre vie. Le récit se déroule dans le Royaume des Han, dans la Chine médiévale.

C’est l’histoire de Wang-Fô, un vieux peintre chinois, qui réalise des œuvres si belles qu’elles sont  réputées magiques : on dit que ce qu’elles représentent peut prendre réellement vie et sortir des tableaux. Le maître en peinture et son disciple Ling parcourent le pays, de village en village, à la recherche de nouveaux paysages à peindre. Un jour, le peintre et son disciple sont arrêtés par les soldats de l’empereur qui  les conduisent en son palais. L’empereur condamne Wang-Fô à avoir les yeux crevés et les mains coupées pour la raison suivante : durant toute son enfance, il a été élevé enfermé dans un appartement décoré des seuls tableaux de Wang-Fô, pour être imprégné de la Beauté. Lorsqu’il est sorti du palais, il a recherché dans le monde la beauté évoquée par les tableaux et ne l’a point trouvée. Il n’a pu supporter le fait que son royaume ne puisse jamais être comparable à celui créé par la peinture de Wang-Fô. Pour se venger, il veut donc lui infliger ce châtiment qui le privera de ce dont il se sert pour son art : ses yeux et ses mains. Mais, avant, il ordonne à Wang-Fô d’achever une peinture qu’il n’a jamais terminé et qui représente l’estuaire d’un fleuve coulant au pied d’une montagne. A ces propos, Ling s’élance pour poignarder l’empereur, mais il se fait décapité. Attristé, Wang-Fô se met à la tâche, en présence de l’empereur et de sa cour. Au fur et à mesure qu’il peint, la mer représentée sur la toile investit la salle du palais et l’eau de l’aquarelle monte dans la pièce jusqu’à submerger l’empereur et ses courtisans. Wang-Fô peint une barque qui prend vie sur laquelle il prend place avec Ling, qui réapparaît comme ressuscité par la peinture, et puis tous deux s’éloignent vers l’horizon du paysage. Et c’est ainsi que Wang-Fô se sauve avec Ling…

Les  illustrations : de la dialectique entre images et texte

Il s’agit d’aquarelles. Il serait impensable de ne rien en dire d’abord parce qu’elles sont abondantes et très belles, très fines, douces, et puis parce qu’elles jouent un rôle essentiel dans la narration.

Les bordures sont à fonds perdus s’allient à la technique de l’aquarelle pour suggérer un espace grand et inconnu, un hors-champ que le lecteur aura le loisir d’imaginer. Cela s’observe aussi particulièrement pour l’image de la dernière double page qui représente la peinture même que réalise Wang-Fô, l’immense mer de jade bleue au milieu de laquelle la petite barque où sont installés Wang-Fô et Ling paraît minuscule. On voit ici à quel point les caractéristiques de l’image joue sur la perception du lecteur, comment elles lui permettent de rentrer dans l’atmosphère onirique et magique du conte.


On observe aussi les formes caractéristiques données à l’image et qui ont une incidence sur l’interprétation que le lecteur en fait : lorsqu’il s’agit de paysages, les illustrations sont à l’horizontale, tandis que lorsqu’il s’agit de portraits elles sont à la verticale.

Les aquarelles entretiennent donc des relations narratives très étroites avec le texte et renforcent la poésie de celui-ci: Par exemple, l’illustration de la page de couverture, qui est reprise à l’incipit, a une fonction de présentation de l’œuvre et du personnage principal, Wang-Fô, le peintre. Elle trouve un écho, qui marquera sans doute l’interprétation que l’on peut en faire, dans le texte, lorsque le narrateur évoque de petites rides que peint Wang-Fô sur la mer et qui rendent  « plus profonde sa sérénité ». Voilà que l’on arrive à une référence bien connue : celle de la sagesse que représentent les rides d’un homme, liées à son âge avancé.

Une des caractéristiques de cette œuvre est le système de références mutuelles et d’évocations entre l’objet-livre et le propos du récit autour du thème de la peinture : nous avons évoqué les fonctions des illustrations du livre. Et bien, le récit nous parle justement des finalités de la peinture, qui sont d’abord purement esthétiques (créer le beau), mais qui sont aussi notamment des fonctions de représentativité, de support et d’aide à l’imagination et à l’évasion: ainsi l’empereur confie au vieil homme que, pour se représenter les choses du monde, il s’aidait des peintures réalisées par ce dernier.

Les aquarelles méritent aussi une attention toute particulière parce que l’on y découvre des détails subtils qui ont pu demeurer invisibles à la première lecture comme le sont certains détails d’un texte littéraire riche comme celui-ci. C’est ce qui justifie le plaisir les relectures qui deviennent redécouvertes de l’œuvre et immersion dans celle-ci.

Les personnages

Les principaux sont Wang-Fô, Ling qui l’accompagne du début jusqu’à la fin du récit, et l’empereur, qui se dresse contre Wang-Fô et dont l’histoire personnelle, dans laquelle Wang-Fô joue un rôle important, va le conduire à faire basculer la vie du peintre. A côté de ces personnages principaux, on trouve les villageois, les soldats  et les courtisans de l’empereur, anonymes et évocateurs de l’époque et du lieu où se déroule l’histoire. Que peut-on dire des liens qui les unissent ? Wang-Fô et Ling entretiennent des rapports de maître à élève. Ling est totalement dévoué et fidèle à son vieux maître. Il partage son mode de vie, l’aide, l’assiste dans son travail et dans la vie quotidienne, souhaite le protéger. Il lui porte un grand respect et une grande admiration. Le maître lui rend ce dévouement à travers une certaine tendresse, attachement qui reste implicite dans le texte. L’empereur se définit sous certains abords par opposition à Wang-Fô : par sa tyrannie, sa cruauté, sa haine, sa jalousie. Mais il semble aussi apparaître sous certains égards proche du peintre : par son physique de vieillard, peut-être par sa subtilité ou la douceur de sa voix.

Thèmes et valeurs. Effet littéraire

L’exercice de style auquel se livre M. Yourcenar est remarquable notamment à travers la poétique de son écrit ; certains ont pu y voir une volonté de rivaliser avec l’art du personnage de son récit. La poésie est partout présente dans cette œuvre qui évoque la magie/l’enchantement de la création, le pouvoir de l’artiste d’échapper au monde du réel en créant un monde plus Beau. On y retrouve divers thèmes comme : celui de limmortalité de l’art, celui de sa finalité, celui du regard que l’artiste porte sur toutes les choses qui l’entoure : Wang Fô admire les traces de suie, les couleurs des broderies des manteaux des soldats, les longues et fines mains de l’empereur, la couleur du sang de son disciple… et ce comportement annonce et explique en quelque sorte la phrase de l’empereur qui dit que les yeux du peintre sont « des portes magiques qui lui ouvrent son royaume ».

Mise en réseau : liens et évocations

On pourra mettre en relation ce conte avec : Le Rossignol de l’empereur d’Andersen, sur le thème du tyran qui se rend aux arguments philosophiques du rossignol ; Le Livre de la lézarde d’Yves Heurté (Seuil), autour du tyran qui se venge d’un précepteur esthète ; Le Génie du pousse-pousse de Jean-Côme Noguès (Milan) pour la conception esthétique orientale; avec, enfin, Le Vieux fou de dessin de François Place (Gallimard) pour la relation entre le peintre japonais Hokusaï et son disciple, mais également pour le défi auquel est soumis le peintre, par le maître des samouraïs.

 

Propositions didactiques pour le CM2:

Cette œuvre est inscrite dans la liste de références pour le cycle 3. Elle comporte des difficultés qu’il convient de prendre en considération avant toute mise en œuvre pédagogique:

– Le lexique et la syntaxe sont très riches. C’est à la fois un atout pour les élèves mais aussi une source de difficultés, notamment pour la compréhension.

– La culture chinoise méconnue des élèves (qu’il faudra donc travailler en parallèle).

– On passe rapidement de la réalité au rêve magique (« le pavement de jade devenait singulièrement humide »). Comme tout conte ‘merveilleux’, il y a une mise à mal de la logique ordinaire. L’interprétation fait appel à un certain nombre de références, à la connaissance de certains symboles, à l’appropriation de la signification de certaines images poétiques.

L’étude de l’œuvre pourrait débuter par une observation de l’objet-livre, de la 1ère et de la 4ème de couverture. Les élèves émettraient des hypothèses sur le contenu du récit.

Après une lecture du début de l’œuvre, les élèves seraient amenés à émettre des hypothèses, à travers un travail d’écriture, sur ce que l’empereur pourrait reprocher à Wang-Fô. Cet écrit, relativement court, débuterait par la phrase énoncée par l’empereur : « Tu me demandes ce que tu m’as fait, vieux Wang-Fô ?, je vais te le dire :… ».

Un débat interprétatif pourrait également être envisagé : – Soit sur les valeurs qui caractérisent le peintre : Wang-Fô préfère donner ses tableaux plutôt que les vendre alors qu’il est très pauvre ; Il s’inquiète du sort de l’empereur et de sa cour lorsqu’il s’apprête à les quitter…

– Soit sur la fin de l’histoire : Comment peut-on interpréter le fait que Wang-Fô se sauve par la peinture, en entrant dans le tableau ? Comment est-ce possible ? Que devient-il, à votre avis ? L’histoire se termine-t-elle bien ou mal pour le personnage principal ?

En arts visuels, après une approche de ce qu’est l’aquarelle en tant que technique de peinture (en lien avec la lecture de la page qui, à la fin de l’ouvrage, présente l’auteur et l’illustrateur), on pourrait proposer aux élèves cette consigne : « Imaginez que vous êtes à la place de Wang-Fô. Peignez le paysage dans lequel vous souhaiteriez vous échapper tel que le font le peintre et son disciple à la fin de l’histoire ».

En lien avec l’histoire et l’histoire des arts, des recherches documentaires pourraient être l’occasion de découvrir la Chine, son passé impérial, mais aussi les différentes formes d’art qui s’y pratiquent. On pourra ainsi évoquer la Cité interdite de Pékin où vivaient les empereurs de la dynastie mandchoue.

Concernant la littérature non destinée à la jeunesse, ce thème a d’ailleurs inspiré un grand nombre d’écrivains occidentaux fascinés par cet orient. Je pense, notamment, à l’œuvre de Pearl Buck (Impératrice de Chine ; La mère). Et justement, si l’un des objectifs de la littérature à l’école est d’ouvrir les élèves à un univers culturel déterminant leur entrée dans un vaste champ des possibles lectures à venir, l’étude de cette œuvre de la grande écrivaine M. Yourcenar revêt un intérêt certain.

Clotilde P.


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